P. Jean-Marie Petitclerc : “Chez certains ados, il y a une absence totale d’empathie” | Aleteia
14 juin 2025

Le père Jean-Marie Petitclerc, prêtre salésien de Don Bosco et éducateur spécialisé, réagit au meurtre de Mélanie, surveillante poignardée par un élève de 14 ans à Nogent (Haute-Marne). Pour lui, les clés pour prévenir la violence résident dans l’éducation au respect et à l’empathie, et dans la nécessité de poser des sanctions dès la première dérive. Propos recueillis par Mathilde de Robien pour Aleteia.

Père Jean-Marie Petitclerc
Une surveillante d’un collège de Nogent (Haute-Marne) a été mortellement poignardée mardi 10 juin par un élève de 14 ans, lors d’une fouille de cartables. Un drame qui vient s’ajouter à une série d’agressions récentes par arme blanche commises par des adolescents de plus en plus jeunes. Le père Jean-Marie Petitclerc, prêtre salésien de Don Bosco, côtoie depuis une cinquantaine d’années des jeunes en difficulté en tant qu’éducateur spécialisé. Il publie le 20 août prochain Combattre l’hyperviolence (DDB), un livre brûlant d’actualité dans lequel il analyse les facteurs pouvant expliquer une telle évolution et fournit des pistes pour mieux prévenir et réguler cette violence chez les adolescents.
Aleteia : Comment sommes-nous passés de la violence à l’hyperviolence ?
Jean-Marie Petitclerc : Que des adolescents se battent entre eux, que des adolescents provoquent les adultes, ce n’est pas un phénomène nouveau. En revanche, ce qui est nouveau, et qui me paraît inquiétant, c’est qu’aujourd’hui on tue pour des motifs futiles. Il y a une disproportion entre la gravité de l’acte posé et la futilité des motifs. Il y a là un véritable problème éducatif. Dans le cas de la jeune femme poignardée à Nogent, les faits se sont déroulés au moment d’un contrôle des sacs. Même la présence des gendarmes n’a pas arrêté le geste meurtrier de cet adolescent. Le problème est bien plus profond.
Parmi les réponses apportées par les politiques, ont été évoqués les fouilles des sacs, les portiques de détection d’armes, l’interdiction de la vente de couteaux aux mineurs… Est-ce que ce sont, d’après vous, de bonnes solutions ?
Comment imaginer que les lycéens fassent la queue aux portiques matin et soir ?! Et je le répète, les faits se sont passés au cours d’un contrôle, les gendarmes étaient présents, cela n’a pas empêché l’adolescent de passer à l’acte ! Et l’interdiction de la vente de couteaux à l’heure où on peut tout acheter sur le « Bon coin » n’a rien de dissuasif !
« Une première sanction éducative est nécessaire afin de faire prendre conscience au jeune des effets de la transgression qu’il a commise et de lui permettre de réparer. »
Que faudrait-il faire en premier lieu ?
Il y a, dans le système judiciaire actuel, une inadéquation des premières réponses : il ne s’agissait pas du premier fait de violence de ce jeune. Mais il n’y a pas eu de réponses suffisantes par rapport aux actes déjà commis à l’encontre de ses camarades. (L’adolescent avait fait l’objet de deux exclusions en début d’année scolaire, l’une pour avoir asséné des coups de poing à un camarade, et une autre pour avoir frappé un élève de 6e, N.D.L.R.) La question qui doit se poser, c’est comment répondre à la primo délinquance ? Pour tous ces jeunes coupables de faits d’hyperviolence, il ne s’agissait pas de leur premier fait ! J’ai un peu l’impression que la justice fonctionne sur le mode « la première fois ce n’est pas grave, ce qui est grave c’est de recommencer ». Or une première sanction éducative est nécessaire afin de faire prendre conscience au jeune des effets de la transgression qu’il a commise et de lui permettre de réparer. Il est urgent de réfléchir à l’importance de la première sanction par rapport à la première dérive. La sanction du premier délit fait partie de la prévention de la récidive. Je pense que c’est l’axe fort d’une politique judiciaire vis-à-vis des jeunes.
Pensez-vous à d’autres solutions pour endiguer la violence des jeunes ?
Il faut se concentrer sur l’éducation au respect, cette valeur me paraît essentielle. Or elle est bafouée, parfois même par ceux qui exercent des responsabilités politiques alors qu’ils devraient se montrer exemplaires. Il suffit de voir les séquences à l’Assemblée nationale. L’irrespect est devenu la norme. La clé réside aussi dans l’éducation à l’empathie. Il faut aider le jeune à relire les conséquences de ses actes, l’aider à se mettre dans la peau de l’autre. Quand je vois un adolescent pianoter sur son téléphone, j’aime dire : « avant d’envoyer un message, mets-toi dans la peau de celui qui va le recevoir ». Une règle d’or, citée dans la Bible, est : « ne fais pas à l’autre ce que tu n’aurais pas envie qu’il te fasse ».
« Aujourd’hui, et c’est ça le drame, les progrès sont tels qu’il faut un peu de temps pour distinguer un jeu vidéo d’une scène de guerre. »
Hier soir, Emmanuel Macron a tenté d’identifier des causes de l’hyperviolence et a évoqué l’explosion de la famille et les réseaux sociaux. Partagez-vous son analyse ?
C’est vrai, il faut prendre en compte des facteurs familiaux, des facteurs sociétaux. La famille est fragilisée, elle a de plus en plus de mal à transmettre des repères. Quant aux réseaux sociaux, ce qui est dramatique, ce n’est pas tant la violence que le fait que l’imaginaire a la couleur du réel. Les histoires que nos arrière-grands-mères racontaient à nos grands-pères étaient d’une violence extrême ! Mais elles commençaient par « il était une fois ». Il y avait une séparation nette entre l’imaginaire et le réel. Aujourd’hui, et c’est ça le drame, les progrès sont tels qu’il faut un peu de temps pour distinguer un jeu vidéo d’une scène de guerre. L’autre problème des écrans, c’est la violence sans souffrance. À travers les écrans, on ne voit ni la souffrance de la victime, ni celle de l’entourage de la victime. Les écrans détruisent l’empathie. Or ce qui peut limiter le déploiement de la violence, c’est bien la perception de la souffrance de l’autre. Je m’aperçois, chez certains ados, qu’il y a une annihilation de la souffrance de l’autre, une absence totale d’empathie.
Les chrétiens, en cette année jubilaire, sont invités à espérer mais comment garder l’espérance dans le monde, dans la jeunesse lorsqu’elle est si fragilisée ?
En regardant les jeunes qui vont bien et qui font des choses extraordinaires ! Je vois des jeunes ingénieurs qui travaillent sur des solutions innovantes. Un proverbe africain dit : « Une forêt qui pousse fait moins de bruit qu’un arbre qu’on abat. » Ces actes violents, certes qui se répètent, ne doivent pas masquer toute une jeunesse. Il est temps aussi que les médias puissent nous aider à ne pas désespérer en mettant l’accent sur ces belles choses que font les jeunes. Pas un mot que les 13.000 jeunes au Frat de Lourdes ! Alors que quand 500 manifestants s’agitent place de la République, toutes les chaînes sont là ! Le slogan des Salésiens, c’est de croire en la jeunesse. Et combien les jeunes ont besoin de rencontrer des adultes qui croient en eux !