Eduquer au-delà des faiblesses
19 juin 2025

Un mot du jour du père Fabio Attard, recteur majeur.
Dans le dernier chapitre de l’Évangile de Jean, le chapitre 21, nous trouvons la rencontre de Jésus avec Pierre. Nous pouvons y lire un dialogue qui s’articule autour de trois questions et qui se termine par un mandat (Jn 21, 15-23). Je voudrais commenter cette rencontre qui jette une lumière particulière sur notre mission même d’évangélisateurs et d’éducateurs. C’est un passage qui présente un moment fondamental dans la vie de Pierre et aussi dans la mission de l’Église naissante. Pour nous qui sommes engagés dans la mission salésienne, ce passage est aussi riche de significations éducatives et pastorales.
Après la Résurrection, Jésus se manifeste aux disciples sur la mer de Tibériade et, après avoir partagé un repas avec eux, il s’adresse à Simon Pierre avec trois questions successives qui touchent à la relation directe entre lui et Pierre : « Simon, fils de Jean, m’aimes-tu vraiment ? » Dans les deux premières questions, ce que Jésus demande, c’est un amour exigeant, sans calculs. Cette question, posée deux fois à Pierre, est une exigence et un défi. Pierre est conscient de sa faiblesse due à sa trahison. C’est pour cette raison que sa réponse est double : une réponse qui témoigne de l’amour, certes, mais de l’amour le plus humain, fragile. Jésus, face à ces deux réponses, lui confie quand même le soin de son troupeau.
C’est la troisième question qui gêne Pierre, parce que Jésus lui demande précisément de s’engager de tout l’amour dont il est capable : l’amour humain avec ses faiblesses, ses fragilités et ses limites. Nous pouvons dire que Jésus appelle Pierre à un amour « élevé », mais sans le mettre dans une situation d’impossibilité, de découragement.
Pierre, pour sa part, se rend compte à la fois de la faiblesse de son amour et du fait que Jésus fait tout ce qu’il peut pour l’aider à ne pas céder. Il veut être sincère et rester proche de Jésus. Ainsi, sa réponse à la troisième question est un témoignage de la façon dont son cœur, même s’il est blessé, veut se remettre entièrement entre les mains de Jésus : « Seigneur, toi, tu sais tout : tu sais bien que je t’aime. » (v.17)
Nous découvrons alors qu’il ne s’agit pas seulement d’un triple dialogue qui rappelle et dépasse la triple négation de Pierre avant la Passion. Nous avons ici un exemple de dialogue qui marque un chemin basé sur l’amour véritable, qui favorise la réconciliation, encourage la croissance et la responsabilité, envers soi-même et envers les autres. Nous entrevoyons combien ce dialogue entre Jésus et Pierre est un modèle d’éducation spirituelle et humaine.
Voici quelques observations qui peuvent nous être utiles, à nous qui accompagnons les enfants et les jeunes dans la croissance et la maturation de leur vie.
Le véritable amour est basé sur une confiance qui ne faillit jamais
Après la trahison, Jésus, non seulement pardonne à Pierre, mais il va plus loin : il lui confie une responsabilité encore plus grande. Il s’agit pour nous d’une leçon d’éducation extraordinaire : la confiance accordée est une confirmation renouvelée du respect que nous avons pour la personne. Un amour qui confère dignité et responsabilise. Jésus ne se limite pas à pardonner, mais redonne à Pierre sa mission, enrichie d’une conscience nouvelle.
Respect des temps et des parcours individuels
La trahison de Pierre annoncée par Jésus n’est pas suivie de la réaction habituelle, du genre « Je te l’avais bien dit ! ». Jésus « voit » la trahison, mais il « voit » aussi au-delà. L’amour de Jésus est un amour qui connaît la faiblesse humaine, mais qui a la force de faire jaillir du cœur blessé le germe de la bonté intérieure. Et ce germe ne disparaît jamais. Ce que Don Bosco appelait « le point sensible au bien » dans le cœur de chaque jeune, nous voyons ici comment Jésus le trouve et fait tout son possible pour le faire émerger. Le mal commis ne doit jamais avoir le dernier mot. Le dernier mot ne doit être que l’amour, la charité du bon pasteur.
Cela signifie avoir la patience nécessaire et le respect du moment. L’expérience nous enseigne que, maintes et maintes fois, le mal commis n’a besoin d’être affronté qu’avec affection, patience et compassion. Surtout avec les enfants et les jeunes. Et Don Bosco commente cela très bien lorsqu’il parle du Système Préventif. Le moment où les enfants et les jeunes se sentent entourés d’un amour mûr et adulte, qui facilite la vie et ne condamne pas, qui écoute et n’ordonne pas, déclenche vers le bien cette bonté cachée mais présente. C’est une source qui fait surgir avec surprise une bonté souvent oubliée ou submergée par des expériences négatives vécues et/ou subies.
Comme il est urgent aujourd’hui que nos enfants et nos jeunes trouvent des adultes, des parents et des éducateurs bien équilibrés et matures, patients et prévoyants ! Authentiques sont les chemins qui respectent l’unicité de la personne, avec ses faiblesses mais aussi avec son potentiel. Nous sommes de véritables bienfaiteurs lorsque nous pouvons voir le temps comme un espace de croissance progressive et constante. C’est une attitude qui évite de proposer ou, pire encore, d’imposer des modèles standardisés qui classent les gens dans des cases.
La comparaison et la tentation de la confrontation
Vers la fin de la rencontre entre Jésus et Pierre, il y a un détail que je voudrais commenter. Pierre interroge Jésus à propos de Jean : « Et lui ? ». Jésus coupe court, comme nous disons aujourd’hui : « Si je veux qu’il demeure jusqu’à ce que je vienne, que t’importe ? ».
Une réponse très sèche, et c’est aussi une bonne leçon pour Pierre. En un mot, Jésus invite Pierre à se concentrer sur sa propre croissance sans se poser de questions curieuses et inutiles sur les autres. Et cette réponse « sèche » est là ! Être responsable et aider à l’auto-responsabilité implique également de clarifier les paramètres afin que le processus de croissance ne se perde pas. Parce que le risque de comparaison et de confrontation avec les autres est préjudiciable. Le véritable cheminement éducatif est personnel et non compétitif. Détourner son attention de soi-même vers les autres détourne l’attention de son propre chemin.
Conclusion : l’éducation comme relation d’amour génératrice d’avenir
Le texte culmine avec l’invitation « Toi, suis-moi ! ». Ces deux mots contiennent l’essence du processus éducatif chrétien : la suite personnelle par le disciple, la relation directe avec le Maître. L’éducation authentique n’est pas transmission de notions, mais introduction à une relation vivante.
Le triple « M’aimes-tu ? » révèle que l’amour est le fondement de toute relation éducative authentique. Ce n’est que lorsque l’éducateur aime vraiment l’élève, et que l’élève répond par l’amour, que cet espace de liberté et de confiance est créé, dans lequel la personne peut grandir pleinement.
L’éducation chrétienne, l’expérience salésienne trouvent dans ce passage un modèle sublime : un processus de transformation basé sur l’amour, le pardon, la confiance et le respect de la liberté.
Père Fabio ATTARD
Recteur majeur des Salésiens de Don Bosco
11e successeur de saint Jean Bosco