Pari pour la paix : les salésiens et les enfants soldats de Colombie

20 juillet 2018

Pari pour la paix : les salésiens et les enfants soldats de Colombie

Les salésiens de Colombie ont joué un rôle important dans les accords de Cessez-le-feu intervenus en janvier 2017 entre les guérilleros de la FARC et le gouvernement : depuis plus de 15 ans, ils accueillent les enfants-soldats pour les réhabiliter, les réintégrer dans leurs familles et dans la société.

 

Le 14 décembre dernier, le Conseil Général de l’Ordre des Avocats d’Espagne a attribué le prix « Droits Humains 2017 » à l’Institution salésienne colombienne « Ciudad Don Bosco Medellin », pour son programme « Bâtissons les rêves » qui travaille à la réinsertion sociale des enfants soldats. En 15 années, grâce aux « Centres d’Attention Spécialisée » de Cali et Medellin, plus de 2.300 mineurs ont pu réintégrer leurs familles et commencer une nouvelle vie grâce à la formation intégrale qu’ils ont reçue.

La mission de « Ciudad Don Bosco Medellin » : protéger les mineurs

La Colombie est un pays en guerre depuis sa création, et le conflit, entre le gouvernement et les factions armées, dure depuis plus de 50 ans, générant une culture de la violence qui imprègne fortement les jeunes et les enfants. Les mouvements armés recrutent des garçons et des filles dès l’âge de 8-10 ans. Les récits de ceux qui ont réussi à fuir, ou qui ont été libérés récemment, se ressemblent, raconte le Père Rafael Bejarano : « Ils empoignent une arme dès le premier jour, passent des semaines presque sans manger dans des opérations militaires ; ils sont entraînés à tuer et découper les cadavres pour les faire disparaître. Survivre dans la jungle exige une soumission totale aux chefs… Ces jeunes sont audacieux, persévérants, dociles, et font preuve d’une grande force de volonté. Ce sont des atouts pour leur réinsertion, car ils s’appliquent à leurs études. Mais il faut guérir les blessures d’un passé terrifiant. »

Reconstruire les rêves des anciens enfants soldats

On leur a volé leur enfance, ils ont manqué d’affection et d’une ambiance familiale protectrice. Ils souffrent de dépression, vivent dans la crainte des punitions corporelles ou des sévices sexuels. Des fillettes de 15 ans ont été contraintes d’avorter 3, 4, 7 fois. Les visages sont durs et les tatouages contrastent avec une espèce d’innocence et une insécurité qui se manifestent dans le langage. Ils ont besoin de normes et ils réclament des châtiments ; quand ils ont fait quelque chose de mal, ils ne comprennent pas qu’il est normal de se tromper. La pédagogie de la confiance de Don Bosco se révèle très adaptée, donne des fruits et les ouvre à un monde qui leur est inconnu.

 « Alto el fuego »

Le programme éducatif des salésiens a l’ambition de créer une culture de non-violence et de paix. Un film en espagnol « Alto el fuego » (Cessez-le-feu) a été présenté à Bruxelles devant les instances européennes et dans de nombreuses villes d’Espagne. 

Quand un adolescent décide de rompre avec le groupe armé, il s’adresse à une institution. C’est un « Défenseur de la Famille » qui décide s’il sera placé dans un « simple » foyer ou dans une « Maison de Protection Spécialisée » comme la Ciudad Don Bosco. Là, il sera accompagné par des psychologues, des éducateurs, des médecins, des nutritionnistes, des travailleurs sociaux. Les jeunes bénéficient d’un suivi individuel et de groupe. Ils rencontrent leurs parents chaque mois et peuvent leur téléphoner chaque semaine. On estime qu’il reste encore entre 8.000 et 13.000 mineurs esclaves des groupes armés.

Bulletin salésien espagnol,
traduit par Jean-François Meurs.

Catalina et Manuel 

 

Catalina s’est engagée chez les Farcs à l’âge de 13 ans. « J’avais des problèmes à la maison, je m’étais mise à haïr ma mère et mon père et je ne voulais plus rien savoir. Je suis allée rejoindre les Farcs. J’étais là depuis quelques jours quand on m’a mis une arme dans les mains. Le commandant me brutalisait et j’étais mal à l’aise avec lui. J’ai profité de son absence pour m’enfuir à 10 heures de la nuit. En fait, ce qui m’a décidée, c’est quand ils ont tué le jeune garçon dont j’étais tombée amoureuse. Je me suis dit : mais qu’est-ce que je fais ici ? Je savais que je risquais la mort en fuyant, déjà le conseil de guerre avait été convoqué. C’est pourquoi je ne suis pas allée tout de suite chez mes parents, mais j’ai été accueillie dans une autre famille. Ma mère avait peur pour moi, et elle me disait de bien choisir ce que je voulais. J’ai été tellement émue quand j’ai pu revoir ma famille, je pensais que je ne les reverrais plus jamais. »

 

 

Manuel est entré chez les Farcs à l’âge de 15 ans et il y est resté un an. Il voulait suivre l’exemple de son frère pour lequel il avait une grande admiration : « J’avais une relation très forte avec lui. Quand ils l’ont assassiné, j’ai eu un grand choc, et j’ai pris conscience que cela pouvait m’arriver également si je commettais une simple erreur. La guérilla ? On n’arrêtait pas : aller à la formation, faire des gardes, partir à la recherche de nourriture, emmener des gens, se baigner quand on le disait, partir en reconnaissance pour voir où est l’ennemi, tendre une embuscade qu’il fallait préparer pendant un mois, affronter l’ennemi … Maintenant, je suis loin du terrorisme et de l’esclavage. Grâce aux salésiens, j’ai pu faire des études, ils m’ont permis de refaire ma vie. »

 

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