Religieuses, religieux salésiens en terre d’Islam

19 décembre 2020

Religieuses, religieux salésiens en terre d’Islam

Salésiennes, Salésiens de Don Bosco en Tunisie ou au Maroc : comment sont-ils arrivés là ? Comment annoncer Jésus Christ en terre d’Islam ? En quoi la pédagogie de Don Bosco est-elle utile là-bas ?

Sr Virginie tu es française, sr Florence, sr Chimène, vous êtes congolaises, qu’est-ce qui vous a amenées à vivre en Tunisie ?

Sr Virginie : Un volontariat avec le VIDES m’a fait découvrir la culture et l’hospitalité tunisiennes. Devenue soeur, j’ai accompagné de nombreuses familles musulmanes venant du Maghreb. Je sentais grandir en moi l’appel à la vie missionnaire et particulièrement en terre d’islam. Être missionnaire signifie se mettre à disposition, là où il y a des besoins et non pas choisir là où l’on veut partir. Notre Supérieure générale m’a demandé de me préparer à partir en Tunisie !

Sr Florence : Sur Internet, toutes les informations concernant la Tunisie étaient positives : beau pays, gens très accueillants,… Mais aussi : Etat islamique à majorité musulmane. Je ne saisissais pas les implications de cette donnée. Une chose m’a fait hésiter, c’est d’entendre que les Tunisiens étaient racistes envers leurs frères noirs. Mais j’ai décidé de vivre l’expérience.

Sr Chimène : Je n’ai pas choisi de vivre en terre d’Islam, j’ai répondu à l’appel de la Mère Générale. J’avais peur du monde arabe, car il y avait beaucoup de préjugés autour de moi, mais j’ai fait confiance au Seigneur.

 

Toi, Piotr, tu es à Kenitra, au Maroc. Comment es-tu arrivé là ?

Piotr : J’ai répondu à l’appel de mon Provincial et de son Conseil ! Il y a 15 ans, j’ai animé le centre aéré de Sidi Yahya el Gharb, près de Kenitra. Là, en partageant le quotidien avec d’autres volontaires chrétiens, musulmans et non croyants, j’ai pu me rendre compte d’une grande ouverture et de la cordialité du peuple marocain.

 

Qu’est-ce qui vous a étonnés et vous parle le plus  dans cette mission ?

Piotr : Même si le Maroc est Terre d’Islam, aucune religion n’est bannie et on croise toutes les cultures.

Virginie : Chrétiens en Terre d’Islam, nous sommes appelés à être hommes et femmes de rencontre en partageant les évènements de la vie quotidienne. Les fêtes religieuses sont l’occasion de créer des liens de fraternité. C’est très beau de pouvoir, dans des moments de confiance, parler de notre foi. Cela me donne de l’Espérance dans un monde où on a peur de l’autre différent.

Sr Florence : Dès mon arrivée, les gens ont été très attentifs. J’ai été confuse d’avoir pensé au racisme. J’ai découvert que les Tunisiens sont des personnes très religieuses et croyantes, tout fait référence à Allah qui oriente tous les aspects de la vie. Dans les documents administratifs, il y a toujours une référence au Coran.

Sr Chimène : J’ai été vite acceptée, sans racisme. J’ai de bonnes relations avec le personnel enseignant, avec les parents. Ce qui m’a impressionnée, c’est le peu de monde dans l’église, surtout quand on vient, comme moi, d’une Eglise d’Afrique où elles sont toujours bondées. Ce qui me choque, c’est que les Tunisiens ne peuvent pas choisir leur religion.

 

Que vivez-vous sur le plan de la rencontre spirituelle avec l’Islam et les Musulmans qui vous entourent ?

Virginie : Vivre ma vie et ma vie religieuse au milieu du peuple musulman m’invite à creuser ma relation au Dieu de Jésus-Christ ! Ici, la présence de Dieu est de chaque instant. Il existe un nombre incroyable de petites expressions en arabe qui disent Dieu, avant de manger, d’étudier, de dormir, pour dire merci. L’appel à la prière jour et nuit est pour moi une invitation à me connecter à Dieu et à devenir « priante au milieu des priants » ! Nous sommes des femmes, des hommes de Dieu, et cela compte pour eux. Marie, très présente dans le Coran, est un pont entre nous !

Florence : Pendant tout le Ramadan, les Tunisiens veillent à ce que le pauvre ait tout ce qu’il lui faut. Je ne passe plus le Carême sans regarder celui qui a moins, sans chercher à l’aider. Les diocèses du Maghreb ont pris la Visitation comme inspiration de leur mission pastorale. Cette théologie me parle : comme Marie, avec la foi que j’ai, je vais rendre visite au peuple tunisien qui porte en lui, comme Elisabeth, les valeurs de Dieu ; et ce service est gratuit. Comme étrangers notre action est limitée, nous sommes parfois humiliés. Nous transformons cela en patience avec soi-même, avec le temps de Dieu, avec l’autre.

Chimène : Quand je fais les mots du matin, je dois faire attention de ne pas évoquer Jésus. Pour la fête de Don Bosco, j’organise un concours, mais je dois être prudente.

C’est difficile de ne pas pouvoir dire ma foi. La paroisse où je peux la partager m’aide à vivre cette difficulté. Les jeunes musulmans nous posent beaucoup de questions. Par exemple : « Vous êtes religieuse mais vous allez vous perdre, vous n’irez pas au paradis ! » On les étonne : « Vous êtes tellement heureuses et pourtant vous n’êtes pas mariées !? » Les parents de l’école me demandent de prier pour eux : ils croient à la force de ma prière.

Piotr : Je vis cet esprit de la Visitation au quotidien dans mes rencontres avec les jeunes mais aussi avec leurs familles et tous ceux que je croise. Et j’espère que ceux qui me rencontrent « tressaillent de joie » grâce à la fraternité que je partage avec eux et l’amour qui me vient de l’Autre. La vie au milieu du peuple musulman cimente ma vie au sein de ma communauté religieuse : elle me permet de vivre mieux la diversité.

 

Sur le plan de l’éducation, que peut apporter un Salésien, une Salésienne ?

Virginie : Le plus urgent est d’offrir aux jeunes un espace éducatif 100 % salésien, surtout parce que les Salafistes sont très présents et diffusent leur idéologie auprès de la jeunesse ! Pour lutter contre cela, l’éducation au vivre-ensemble constitue un axe fort. Au sein de l’école, nous travaillons beaucoup à faire jouer les enfants ensemble afin qu’ils apprennent à respecter les règles d’un jeu, à collaborer en équipe, à s’écouter.

Florence : Le plus important est d’éduquer la conscience, aider les enfants et les jeunes à se poser des questions pour les éveiller à leur responsabilité personnelle. Ils ont tendance, devant un bien, à rendre grâce à Dieu, et devant un mal, à dire : « c’est comme ça, c’est la fatalité ». L’homme est alors le jouet du destin. On attend que tout tombe du ciel et cela bloque le développement.

Chimène : Nous essayons de leur faire découvrir la valeur du pardon : souvent ils ont besoin de se venger. Nous devons éduquer les jeunes à la « Non-Violence » et aussi à la vérité : ce n’est jamais eux les responsables d’une bêtise, d’une erreur….D’autre part, le système scolaire est à la mémorisation, à la répétition. On essaye de changer cela : apprendre à l’enfant à réfléchir et non pas à répéter tout le temps.

Piotr : J’interviens particulièrement dans notre école professionnelle d’électricité. La priorité est de garantir une haute qualité de l’enseignement, théorique et pratique, afin de permettre aux apprenants de se munir des qualifications qui correspondent au marché du travail d’aujourd’hui, et surtout de demain.

 

Propos recueillis par Joëlle DROUIN

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