Campobosco 2023 sur le thème de la paix : ce que deux soldats professionnels avaient à en dire

26 août 2023

Campobosco 2023 sur le thème de la paix : ce que deux soldats professionnels avaient à en dire

« Foutez-vous la paix… Car paix dit aime » (jeu de mots avec la locution latine « Carpe Diem »), tel était le slogan de ce Campobosco 2023, une façon renouvelée de nous inviter à accueillir la paix en nous, à la construire autour de nous. Et pour nous y aider, des témoins bâtisseurs de paix étaient invités : représentants du mouvement ATD Quart Monde et de la communauté Sant’Egidio, tant il est indispensable que règne la justice pour qu’advienne la paix.
Une troisième catégorie de témoins pouvait surprendre : il s’agit de représentants de l’armée française, le lieutenant-colonel Robert Berringer et le lieutenant Oumar Sylla, l’un chrétien et l’autre musulman. L’armée a-t-elle quelque chose à dire sur la paix ? Tous deux nous ont aidés à réfléchir au lien entre soldats et violence, armée et paix.

D’une manière très pédagogique, ils ont commencé par aider les jeunes à définir les mots « guerre » ; « armée » ; « nation » ; « arme » ; « violence ». Ces définitions avaient pour but de montrer que le militaire n’est pas violent et que la force est utilisée de façon légitime pour défendre celui qui est agressé. Le droit de la guerre fixant les limites de ce qui est légitime, c’est-à-dire moral et de ce qui est légal, c’est-à-dire relevant de la loi. L’armée fait le maximum pour que la loi soit morale. Un ordre qui n’est pas légitime n’est pas légal. Ces limites étant conceptualisées sous forme du code du soldat : être maître de sa force, obéir aux ordres, faire preuve d’initiatives.

L’homme et la violence

Le lieutenant-colonel Berringer insista sur l’importance de ne pas se voiler la face sur des concepts : oui, il y a des différences, oui tout n’est pas identique : un chrétien n’est pas un musulman, un asiatique n’est pas un africain… plus on respectera ces différences, plus on apprendra à se connaître, plus on s’enrichira et on pourra vivre en paix. Le militaire n’est ni « raciste », ni « misogyne », dira le lieutenant Oumar Sylla.
Le lieutenant-colonel Berringer ajoute : « On va au combat si nécessaire mais sans passion, ni haine. Et la mission du chef d’Etat-Major des armées françaises est de gagner la guerre avant la guerre. Le sujet de notre témoignage ne devrait pas être « militaire et violence » mais « l’homme et la violence ». « On doit faire face au mal dans un monde où il y a de la violence. Il faut être fort sans utiliser la force. »

Tous deux sont issus de la même promotion de Saint-Cyr et affirment : Saint-Cyr est un bon compromis entre l’esprit et le corps. Il y a une éthique, une déontologie : « protéger le faible. » Et le niveau d’une section, expliquent-ils, est le niveau du plus faible. Quand ils sont en commando, Il leur est demandé, non pas d’être le plus performant, mais de faire le temps du plus faible. De toutes les façons, le plus faible pour la marche peut être le plus fort pour allumer le feu ! Et de citer la Légion étrangère : il y a cinquante nationalités et c’est ce qui fait sa force : les différences font qu’il y aura toujours un homme dans la section qui aura la solution.

Vivre sa foi

Le lieutenant Sylla explique qu’un aspect qu’il retient de sa formation à Saint-Cyr est l’importance de la sécurité. « A l’armée, on tient à la vie, on respecte l’environnement et le militaire violent ou qui ne respecte pas son lieu de vie ou d’intervention va à l’échec. » Il est passé par Saint-Cyr et Sciences-Po et il nous invite à nous méfier des préjugés : « Là où je vis le mieux ma religion musulmane, c’est à l’armée, alors qu’au ministère (qui n’est pas le ministère de la Défense) où je travaille actuellement, je me cache. »

Le lieutenant-colonel Berringer insiste, lui, sur les repères qui lui ont permis de se construire dans sa vie d’homme, à savoir quatre éléments principaux de sa foi : écouter (Ecoute Israël) ; aimer Dieu ; aimer son prochain ; l’aimer comme soi-même. Il explique : « L’homme grandit quand il commence à écouter Dieu, à s’aimer soi-même : on n’a pas le droit de se déprécier, Dieu nous aime. Il faut demander à Dieu quelle est notre place dans le moteur de ce monde et en choisissant l’armée, j’ai choisi un métier où on construit et où on ne détruit pas. »

Protéger le plus faible

Oumar Sylla s’exprime à son tour : « Il n’y a pas de mauvais choix, pas de mauvais parcours dans la vie ». Entré à 11 ans au collège militaire de Saint-Louis au Sénégal, sorti à 24 ans de Saint-Cyr. Il a mis l’armée entre parenthèse pendant quelques années. Il a alors commencé Sciences-Po à 25 ans puis est retourné à l’armée autrement. Il constate aujourd’hui que tout ce qu’il fait au sein du ministère où il est détaché s’enrichit de ce qu’il a fait avant. Par exemple, cette notion de protéger le plus faible est très présente dans son travail. Il invite les jeunes à être toute leur vie en apprentissage. Pour lui, la paix commence quand on connaît la religion de l’autre. « Si on aime Dieu, on aime l’être humain ».

Des questions plus personnelles leur ont été adressées telles que « Comment vivez-vous les ordres de mission qui ont amené des gens à mourir lorsqu’une opération ne s’est pas déroulée comme prévu ? » Réponse : « Notre but est de stopper l’ennemi, pas de le tuer. C’est comme si une personne venait attaquer votre famille avec une arme, vous ne voulez pas tuer cette personne mais l’arrêter ; il peut arriver que, pour l’arrêter, vous soyez amené à tuer cette personne. Il y a une préparation à ces situations dans notre formation, notamment faire confiance à son chef qui ne va pas demander d’utiliser la violence de façon abusive. Donc, le soldat sait qu’il ne fait pas quelque chose de mauvais en obéissant à son chef, même si la mort doit arriver.
Si la mort survient, le premier soignant du soldat qui a donné la mort est son chef de groupe qui n’est pas un robot et prend le temps de le soutenir. Quand on est confronté à la mort, on retrouve vite notre colonne vertébrale et on se tourne vers la foi et l’aumônier. Le service de santé met aussi en place des cellules psychologiques. »

Combien y a-t-il de femmes dans une section ? Réponse : il n’est pas bon de féminiser ou de masculiniser à outrance. Il n’y a pas de discrimination positive. On choisit selon les compétences et non pas pour correspondre à un quota. Chacun a sa place et il faut être complémentaire.

On dit que l’armée est politiquement à l’extrême droite, restez-vous fraternel ? Réponse : l’armée est le reflet de la société et il y a tous les points de vue, mais il y a des gens qui parlent plus fort que d’autres ! D’une façon générale, on doit apprendre sur l’autre et ne pas le ramener à ce que l’on croit savoir de lui.

Une autre question portait sur l’autorité, les relations hiérarchiques. Réponse : le but de l’autorité est de tirer vers le haut, pas de donner un coup de pied à un chien. On respecte les personnes. Il y a quatre choses à vivre pour avoir de l’autorité : de la compétence, du respect, du courage et de l’exemplarité. L’ordre donné doit aussi faire sens, être cohérent. Les relations doivent être bonnes entre le chef et ses hommes car elles sont indispensables au bon fonctionnement.
Peut-on refuser de partir en mission ? Réponse : oui, si c’est argumenté. Et que se passe-t-il dans le cas du refus d’un ordre ? « Tout dépend de l’urgence. Les ordres sont donnés pour être légitimes. Si on a fait une erreur, on se doit d’être humble, de le reconnaître et demander pardon. »

La société a tendance à déshumaniser l’armée, qu’en pensez-vous ? L’armée est humaine et ne faiblira pas dans sa dimension humaine qui est au cœur de son instruction et du commandement. Elle reste un repère d’humanisme.
Si vous avez peur, que faites-vous ? Je me réfère à ma religion : un Dieu au-dessus de moi. Ce Dieu veille sur moi. J’essaye de rencontrer des gens qui ne vont pas me décourager.

Comment vit votre famille quand vous partez en opérations extérieures ? Quand on a été absent quatre ou six mois et qu’on revient et que c’est la mère de famille qui a dû tout gérer en notre absence, il faut être diplomate, attentif, répond le lieutenant-colonel Berringer qui est marié et père de six garçons.
Que pensez-vous de cette phrase de Jésus : si on te frappe sur la joue gauche, tend la joue droite ?
« La force n’est pas la solution à tout. On se doit si cette violence n’est pas méritée de protester. Jésus veut des hommes debout. »

Votre souvenir le plus marquant ?
Lieutenant-Colonel Berringer : « J’en retiendrai deux : ma passation de commandement avec mon épouse à côté de moi : un moment de conciliation de vie familiale et de vie professionnelle. Et la bénédiction de nos casoars au monastère du Baroux ».
Lieutenant Omar Sylla : « La manière dont je suis accueilli dans les régiments, la fraternité ».

Texte : Sœur Joëlle DROUIN
Photos : Thibault PRAS

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