Lucile Papon, Handicap International : « Sans accès à l’éducation, la société ne va pas »

11 février 2022

Lucile Papon, Handicap International : « Sans accès à l’éducation, la société ne va pas »

Lucile Papon est une ancienne élève de Sévigné, établissement scolaire des sœurs salésiennes à Marseille. Elle assure actuellement un poste important à la direction de l’association Handicap International. DBA l’a rencontrée.

 

Qu’est-ce qui vous a amenée à travailler à Handicap International ?

J’avais une première expérience professionnelle dans l’humanitaire où je travaillais depuis 1996 et en 2002, je voulais repartir sur le terrain.

J’ai répondu à une offre d’Handicap International et j’y suis restée. Cette ONG me correspond en termes de valeurs : valeur d’inclusion, de diversité, de respect, d’approche du plaidoyer, du combat énorme de dénonciation où il faut hurler et taper du poing sur la table. On fait aussi un travail diplomatique auprès des vrais décideurs.

C’est aussi une façon de travailler dans laquelle je suis à l’aise.

 

Votre passage chez les sœurs salésiennes a-t-il eu une influence sur votre choix de faire de l’humanitaire ?

J’ai été élève à Sévigné du CE2 à la Terminale. Ces années sont un pilier éducatif pour moi. Quand j’avais vingt ans, je ne m’en rendais pas vraiment compte. Mais maintenant j’en ai pleinement conscience, c’est vraiment un fondement. L’éducation familiale a été essentielle aussi mais l’approche salésienne a eu une énorme influence sur moi, sur ma façon de voir le monde. C’est là que j’ai fait mes premiers soutiens scolaires auprès de jeunes de familles défavorisées et j’ai touché la pauvreté. On nous a emmenés à Taizé où j’ai rencontré des jeunes du monde entier mais aussi à Prague juste avant la fin de l’état communiste.

Il y avait aussi cette bienveillance autour de nous, je retrouve cette éducation très présente dans mon parcours. A quarante-huit ans, j’ai conscience des valeurs intellectuelles et affectives qui ont été constructives pour moi et que j’ai reçues à Sévigné. Les sœurs salésiennes ont été très importantes dans mon parcours, certains professeurs ont été aussi des piliers pour moi.

 

Cela ne vous a pas fait peur de rencontrer sur le terrain des scènes de violence avec des personnes atteintes dans leur intégrité physique ?

Je n’ai jamais vraiment eu peur du contact des victimes. Plus jeune, quand j’ai commencé l’humanitaire à vingt ans, j’étais assez inconsciente. J’ai eu mes premières missions dans des zones de combat. Aujourd’hui, je suis plus consciente du danger. La personne en souffrance peut m’émouvoir, me traumatiser, mais elle ne m’a jamais fait peur. Ce serait plutôt l’environnement qui peut être inquiétant quand on est entouré de gens armés, hostiles…

 

Actuellement, en quoi consiste votre travail ?

Je suis en charge de la protection contre les abus de pouvoir dans l’environnement humanitaire. C’est un poste au niveau de la direction d’Handicap International, sur les risques d’abus de la part de nos personnels sur les bénéficiaires, mais aussi sur les abus entre membres du personnel, abus de pouvoir, abus sexuel, discrimination. Ma mission est de veiller à un environnement de protection et de tolérance, de respect.

 

Travaillez-vous au niveau de l’éducation dans les zones où vous intervenez ?

Nous défendons la logique inclusive. C’est notre façon de voir, de considérer l’éducation.

Nous soutenons l’éducation d’une façon générale. Avec l’expérience des 25 dernières années, je sais que l’éducation est un droit fondamental qui permet de construire des Etats de droit. Quand il n’y a pas d’éducation, quand les enfants n’y ont pas accès, on sent que la société ne va pas. Nous poussons l’accès à l’éducation partout. Et il faut que cette éducation soit inclusive. On nous dit : « Un enfant handicapé dans une école, c’est compliqué. » Mais en fait, ce n’est pas si compliqué que ça. C’est la société qui doit s’adapter à l’inclusion des enfants handicapés et non pas l’inverse. Le mélange des enfants est fondamental au niveau de l’apprentissage de l’acceptation de l’autre.

 

Vous travaillez avec des instances gouvernementales pour faire avancer vos points de vue ?

Oui, on effectue un travail diplomatique, ce qu’on appelle la partie « plaidoyer » de notre action. On mène des plaidoyers auprès des autorités. On a des discussions avec des ministres sur des changements de politique. Nous sommes crédibles et on nous écoute parce que nous avons une expérience sur le terrain. On ne peut pas nous dire que nous ne sommes pas légitimes quand nous voulons interdire les bombardements dans des zones déjà très fortement atteintes.

On arrive à dire : « Regardez, 80% des gens de cette zone sont des civils. » Et s’ils nous disent que tel ou tel bombardement a fait des « simples dommages collatéraux », ou quand ils nous disent qu’ils font des bombardements très ciblés qui n’atteindront pas les civils, on peut leur dire que c’est faux car on est au cœur des choses. Au final, on arrive à avancer.

 

Finalement, en venant en aide aux personnes handicapées, vous participez à construire la paix ?

On essaye de participer à ce que les personnes puissent se reconstruire. On va dans le sens inverse de la violence des hommes. C’est un combat difficile mais mon éducation salésienne m’aide : Don Bosco invite à être toujours joyeux et contrairement à ce que l’on pourrait penser, dans notre travail entre humanitaires, on est joyeux. Il y a aussi beaucoup d’humour, peut-être pour se protéger ; c’est une sorte d’humour, caractéristique de notre organisation, mais nous rions souvent.

 

Propos recueillis par Joëlle DROUIN

Société