Officier de prison

26 septembre 2013

Officier de prison

Sylvie, officier de prison, a accepté pour DBA de décrire son milieu de travail. Elle est tenue par une obligation de réserve, c’est pourquoi nous ne pourrons en dire plus sur elle ni sur sa prison. Mais sur son métier, elle a beaucoup à nous dire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

DBA : En quoi consiste votre travail ?

Sylvie* : Je travaille au quartier des arrivants. La plupart viennent de milieux défavorisés. Dans certaines familles de détenus, il y a presque une culture de la prison : l’oncle, le père, le grand-père, tous y sont passés et repassés. C’est vécu comme une sorte de fatalité ! Certains n’ont pas l’air catastrophé de se retrouver là. Mais ce n’est qu’une apparence. Je dois bien les écouter car je dois savoir qui ils sont, me rendre compte de leur vulnérabilité ou de leur dangerosité, des risques de suicide qu’ils présentent. Je dois m’occuper aussi de l’aspect cigarettes et café. Ces deux éléments ont une place énorme en prison.

 

DBA : Les relations avec les détenus, comment sont-elles ? Peut-on en avoir ?

Sylvie : Chaque fonctionnaire de la prison vient avec sa propre personnalité. Certains d’entre nous mettent de la distance avec les détenus. D’autres sont très à l’écoute. C’est très important de travailler en équipe. On se complète et on s’entraide. Les anciens surveillants comprennent très vite les situations. La pratique, l’expérience leur permettent d’avoir la bonne attitude à mettre en œuvre dans les différentes circonstances.

 

DBA : Il y a plus de violence qu’avant ?

Sylvie : Oui, la violence et l’agressivité augmentent d’année en année. Quand je suis appelée pour intervenir, l’agressivité est déjà montée haut.Avant il y avait une certaine régulation de la vie en prison, entre détenus, lors des promenades. Aujourd’hui, nous devons intervenir beaucoup plus. Et si un détenu insulte un surveillant, celui-ci peut porter plainte. Mais devant des tribunaux débordés, la plainte traîne, puis se perd. Alors le détenu considère qu’il peut continuer en toute impunité.

 

DBA : On dit qu’il y a beaucoup de trafics en prison, est-ce exact ?

Sylvie : Oui, il y a beaucoup de trafics. Par exemple du canabis est projeté, de l’extérieur, par-dessus les murs. On a l’obligation de lutter contre ces trafics. Mais il y a de nouvelles législations pour la fouille au corps (pour le respect de la dignité humaine, ce qui est un bien) qui font qu’on ne peut plus fouiller vraiment les personnes. C’est ainsi que des détenus cachent sur eux de la drogue ou des lames de rasoirs dont ils se servent après pour menacer un surveillant. On nous impose des règles pour le respect de la dignité humaine mais la prison c’est déjà le non-respect de la dignité humaine. Il faudrait prendre cette question de la prison à bras le corps et réfléchir beaucoup plus largement.

 

DBA : Peut-on rester « zen » dans ce milieu de travail ?

Sylvie : Mon travail en prison m’a fait toucher la part sombre de ma personnalité. J’ai appris à maîtriser mes colères, mes peurs. La prison respire la violence, le mal. Et moi je suis de ces gens qui absorbent facilement les ambiances. On est impacté par ce milieu. Notre corps prend l’habitude d’être sur la défensive tout le temps, même quand on est dehors.

Ce n’est pas un milieu épanouissant même si le travail y est intéressant et si on peut y vivre de bons moments en équipe. C’est un métier qui use. Les gens autour de moi me disent que j’ai beaucoup changé.

 

DBA : Envisagez-vous de changer de métier ?

Sylvie : Non, pas de métier mais de poste. Il y en a qui sont intéressants et qui permettent de ne pas aller à la confrontation tout le temps. Par exemple, j’aimerais m’occuper du travail et de la formation des détenus.

En prison, on constate que les jeunes ne veulent pas travailler. La valeur « travail » s’est perdue. Ils disent : « pour gagner des clopinettes, ça ne vaut pas la peine » et ils attendent le mandat de la famille pour leur « cantine ». Tous ces jeunes fument du shit. A la moindre contrariété, ils fument. Cela les calme mais quand ils seront dehors, comment réussiront-ils à travailler ? J’aimerais les aider. C’est toute une tranche de la population qui est abandonnée. Il faut leur redonner confiance en eux et espoir.

 

Propos recueillis par Joëlle DROUIN
Sept. 2013

* Le prénom a été changé.

Crédits photos, © xchng-datarec et © xchng-adamci

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