Philo pour enfants : enseigner la morale, mais pas comme un cours de grammaire

24 mai 2018

Philo pour enfants : enseigner la morale, mais pas comme un cours de grammaire

Enseigner le jugement moral par la philo ! C’est le pari de certains animateurs qui interviennent dans les écoles ou les centres socio culturel… Les ateliers philo destinés aux plus jeunes se développent un peu partout en France et en Belgique. Les approches et les méthodes sont nombreuses. Il s’agit de se familiariser avec les idées, de faire de l’éducation morale et civique par l’apprentissage du questionnement.

 

Ateliers philo : Tout part des questions

« Alors, quelles questions pourrions-nous nous poser à partir de cette histoire ? » Après avoir lu un album sur le thème de l’amitié (Le poisson Arc en Ciel), l’animateur recueille une à une les questions des jeunes et les écrit au tableau pour choisir ensuite ensemble la question du jour qui sera débattue durant l’ « heure philo ». L’animateur suscite des questions, non des réponses. Pourquoi ? En classe, les enfants répondent habituellement aux questions des enseignants. Le temps d’attente entre la question et la réponse des élèves est estimé à trois secondes. L’enjeu proposé dans les ateliers de philosophie est au contraire d’inviter les jeunes à se poser des questions et à adopter une attitude de chercheur. Le problème devient un défi intellectuel. On creuse la question, par des comparaisons, des distinctions, par des allers-retours avec son expérience. « Peut-on donner son amitié sous condition ? » «  Un ami c’est quelqu’un qui est pareil que moi ? »

L’anneau de Gygès

Gygès est un berger qui découvre par hasard le cadavre d’un géant. Celui-ci porte un anneau magnifique à son doigt. Gygès le dérobe et découvre en jouant avec le chaton que cette bague lui donne le pouvoir de l’invisibilité.

Que va faire Gygès de ce pouvoir ? Grâce à l’expérience fascinante de l’invisibilité, Platon propose d’interroger les limites du bien et du mal.

Yakouba 

Yakouba, est un jeune Africain qui arrive à l’âge de devenir guerrier. Pour apporter la preuve de son courage, il doit affronter le lion et le tuer. Pendant des jours, il cherche le lion, la peur au ventre. Arrive la rencontre. Mais Yakouba voit devant lui un lion blessé. Soit il le tue et passe pour un grand chasseur, soit il le laisse vivre et sort grandi aux yeux de sa famille. 

L’approche philo peut aider à promouvoir une éducation éthique

La réflexion éthique commence par l’histoire de « l’Anneau de Gyges », une fable tirée de la République de Platon. Elle permet d’introduire une réflexion éthique, sans aborder tout de suite les normes qui risquent de freiner la réflexion des enfants. Gygès dispose d’un pouvoir d’invisibilité….Qu’en fait-il ?

Et que feraient-ils eux, les enfants, s’ils disposaient de ce pouvoir d’invisibilité ? Les enfants s’expriment sur tous leurs désirs… les plus farfelus. « Ce serait le foutoire ! » dit un enfant. La réflexion permet de développer les différentes fonctions de la loi (protection, égalité, et pas seulement, force, punition). Au cours de la dernière étape, la discussion mène à la notion de conscience morale et de devoir.

Parler de valeurs quand on ne sait pas quoi choisir. « Et que ferais tu si… »

L’étude de livres et de films développe la réflexion autour des conflits entre plusieurs devoirs. Par exemple, l’histoire de Yacouba permet d’aborder la palette des possibilités éthique d’un individu ou d’un groupe.

Il ne s’agit pas de transmettre des règles toutes faites pour faire réfléchir les jeunes sur ce qui a de la valeur et sur ce qui en a moins. Quand on est confronté à un conflit de devoirs, il faut se mettre à réfléchir sur les valeurs : loyauté, sincérité, altruisme, respect de la parole donnée…. Le bien et le mal cela ne s’apprend pas comme la grammaire, par contre un jugement éclairé est possible.

Interroger les présupposés à l’aide des philosophes

Certains livres de philosophie pour enfants sont remplis de présupposés : certains font appel à une forme de conscience morale innée (comme une boussole intérieure en chacun de nous), d’autres font référence au calcul des conséquences, d’autres enfin misent sur le sentiment (la morale repose sur l’empathie humaine)…

Toutes ces approches se trouvent dans l’histoire de la philosophie : primauté au sentiment avec Rousseau, priorité à la raison avec Kant, et à l’intérêt avec JS Mill. Bref, ce sont ces présupposés qui doivent être explicités –même avec les enfants. La construction d’un savoir éclairé est possible à condition de ne pas juger les opinions ou les convictions de chacun, mais de se concentrer sur les biais et les insuffisances dans l’argumentation.

La philosophie pour enfants
en pratique 

  • Philojeunes : une chaire Unesco de Philosophie pour Enfants
  • Un label Ville Philosophe

Des livres et parcours pédagogiques pour les enseignants et les parents :

  • Astrapi
  • Bayard Edition
  • Phileas et Autobul

Apprendre à structurer sa pensée

Les séances d’ateliers philo ont pour objectif de développer des habiletés de pensée qui sont : définir, différencier, comparer, donner ses raisons… Il n’est pas question que le débat ressemble à un échange aléatoire d’opinion. Lorsque la discussion s’engage, chacun essaie d’être attentif à proposer des exemples et des contre-exemples, définir les mots employés, interroger ses présupposés, justifier ses arguments, et demander aux autres de le faire. Progressivement les jeunes structurent leur pensée tout en découvrant celle des grands philosophes.

Hélène Boissière Mabille

Société