Philippe Bordeyne rend hommage à Xavier Thévenot (1/4)

15 avril 2014

Philippe Bordeyne rend hommage à Xavier Thévenot (1/4)

Il y a dix ans, Xavier Thévenot, docteur en théologie morale, quittait ce monde. Don Bosco Aujourd’hui rend hommage à ce grand théologien et humaniste salésien en interrogeant quatre de ses anciens étudiants sur l’héritage qu’ils estiment avoir reçu de lui. Avant Geneviève Medevielle, Catherine Fino, Mgr Hervé Giraud écoutons pour ce premier volet Philippe Bordeyne, recteur de l’Institut Catholique de Paris.

 

 

 

Misère et grandeur de la liberté

En 1982, Xavier Thévenot a 43 ans. Docteur en théologie morale depuis deux ans, il publie un ouvrage de vulgarisation sur la sexualité à destination des jeunes. Après avoir montré, à travers quelques exemples, que la sexualité est toujours mêlée d’agressivité et qu’elle marque toutes nos relations et centres d’intérêt, il conclut : « C’est pourquoi il est si important d’y réfléchir. D’autant plus important que le jeune met des années pour devenir un homme ou une femme. Bien plus, une fois devenu adulte, il constatera que sa vie sexuelle est source de joies mais qu’elle ne réussit pas toute seule. On a vu déjà que celle-ci pouvait subir des « ratés », des échecs ; qu’elle pouvait provoquer de la jalousie, de la violence. Tout cela est le signe que l’homme et la femme sont libres. Ils peuvent faire un bon ou un mauvais usage de leur sexualité. Ils peuvent, avec leur désir sexuel, essayer d’aimer ou au contraire d’exploiter l’autre »1. Dans ce court paragraphe, Thévenot dévoile son approche de la vie morale à la lumière de la foi chrétienne. C’est le cœur de l’héritage qu’il nous confie.

 

La visée de la théologie morale est pratique

Premièrement, la théologie morale est une méthode de réflexion sur la réalité qui doit conduire à mieux aimer et à aimer davantage. Autrement dit, ce n’est pas de la réflexion en chambre, sa visée est pratique. Sa raison d’être est de favoriser une transformation de soi et du monde qui aide à grandir dans la fidélité au commandement de l’amour. C’est ainsi que l’être humain accomplit sa vocation à ressembler au Dieu Amour révélé en Jésus-Christ.

 

Deuxièmement, la morale présuppose la liberté. À la suite du philosophe Paul Ricœur, auquel Thévenot avait consacré sa maîtrise de théologie, on peut dire que la liberté est le pivot autour duquel s’organise toute la réflexion morale. Ce faisant, Thévenot s’inscrivait aussi dans le sillage de saint Alphonse de Liguori qui, à partir de la foi chrétienne en la Création, avait fondé sa pédagogie morale sur la grandeur de la conscience et de la liberté.

 

Troisièmement, cette confiance en la liberté n’exclut pas la lucidité sur les errances, les échecs et les « ratés » qui jalonnent nos vies. En lecteur assidu de la Bible, Thévenot ose évoquer le drame de la condition humaine. C’est ainsi qu’il rejoint les couples et les célibataires dans leurs difficultés affectives et sexuelles. Il fait appel aux sciences humaines pour mieux comprendre d’où elles peuvent venir, et comment les gérer. Mais Thévenot refuse que ces difficultés soient invoquées pour transgresser la loi. La blessure de la liberté n’en supprime pas la grandeur. Tout être humain est appelé à croître en humanité. Comme l’affirme saint Paul, la Création gémit dans les douleurs d’un enfantement qui annonce une humanité réconciliée.

 

Cette approche de la vie morale justifie que Thévenot se soit montré précurseur dans la recherche sur les relations entre liturgie et morale2. Le croyant qui participe aux sacrements est un être libre, conscient de ses ambiguïtés et de ses difficultés à aimer. Dans l’eucharistie, il vient puiser le renouveau du pardon et l’espérance d’avoir part à la victoire du Ressuscité. Puisque le Christ nous a aimés jusqu’au bout dans l’épreuve de la souffrance, nous pouvons accueillir en lui la figure d’une humanité transfigurée qui nous relance dans l’amour.

 

 

 

 Philippe Bordeyne
Recteur de l’Institut Catholique de Paris
8 mai 2014

  

 

Xavier Thévenot – Repères biographiques

  

 

  • Naissance le 20 décembre 1938 à Saint-Dizier
  • Élève des salésiens de Don Bosco
  • Animateur du patronage salésien où il découvre le monde ouvrier
  • Licencié ès sciences de l’université de Caen
  • Entrée au noviciat des Salésiens de Don Bosco en 1958 et ordonné prêtre à Saint-Dizier, le 21 décembre 1968
  • Prépare, sous la direction de René Simon, salésien comme lui, une thèse sur l’homosexualité
  • Professeur à la Faculté de théologie de l’Institut catholique de Paris
  • Enseigne la morale fondamentale et la morale sexuelle ; il renouvelle l’enseignement de la théologie morale à l’Institut Catholique de Paris
  • Anime des séminaires de doctorat et dirige des thèses
  • Intervient dans de nombreux services d’Église et mouvements de la société civile
  • S’implique dans la formation des religieux, religieuses et prêtres ; il est un accompagnateur spirituel à l’écoute exceptionnelle
  • Rencontre de nombreux laïcs pour les aider à gérer leur vie affective de manière responsable et humanisante
  • Décède prématurément après avoir lutté courageusement contre la maladie le 14 août 2004

 

 

 

1. Xavier Thévenot, Vie sexuelle et vie chrétienne, Paris, Mame, 1982, p. 15.
2. Voir le n° 264 de la Revue d’éthique et de théologie morale, Paris, Cerf, Juin 2011.

 

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  • Les essentiels de Xavier Thévenot, par Catherine Finot, professeur à l’ICP
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Famille Salésienne