Le père Jean-Marie Petitclerc sur LCI et dans La Croix : « Face à la culture de quartier qui se développe, l’éducation est l’affaire de tous »

7 juillet 2023

Coordinateur du réseau Don Bosco Action sociale et vicaire provincial France-Belgique-Maroc des Salésiens, le père Jean-Marie Petitclerc a été invité sur le plateau de LCI à décrypter les violences qui ont suivi la mort de Nahel, à Nanterre le 27 juin. Il a également été invité à rédiger pour le quotidien La Croix une tribune, que nous reproduisons ci-dessous. Il y  rejette deux attitudes : « le laxisme face à des comportements inacceptables » et le refus de « prendre en compte les raisons de la colère ».

Tous, nous sommes sidérés par cette explosion de violence que nous avons connue durant ces derniers jours dans notre pays. Il nous faut apprendre à la décoder à la fois comme mode d’expression d’une colère, liée a la mort tragique d’un adolescent provoquée par un policier, comme mode d’affirmation de soi de jeunes qui ne se sentent pas reconnus à une juste place dans notre société, mais aussi comme un mode d’action, permettant d’obtenir les objets convoités par les pillards.

Je regrette que la classe politique, dans sa réaction à chaud, se scinde entre ceux qui ont tendance à seulement écouter la colère, au risque de se montrer laxistes face à des comportements inacceptables et, à l’inverse, ceux qui condamnent avec force tous les jeunes auteurs de violence, au risque de ne pas prendre en compte les raisons de la colère.

Je pense, pour ma part, qu’il est possible de conjuguer écoute d’une légitime colère et grande fermeté vis-à-vis d’actes posés qui sont injustifiables et inexcusables. Il est grand temps, dans notre pays, que tous les adultes s’accordent sur cette posture éducative, qui consiste à toujours savoir écouter les jeunes tout en condamnant fermement la violence des actes posés.

Le véritable problème : l’éducation

Car il nous faut reconnaître, en prenant un peu de recul, que le véritable problème posé aujourd’hui dans notre société française – et peut-être avec plus d’intensité dans les quartiers que notre République qualifie de prioritaires – est celui de l’éducation. Comment peut-on concevoir que de jeunes adolescents soient livrés à eux-mêmes en pleine nuit et commettent autant de casse et d’agressions ?

Certes, ne faisons pas d’amalgame en considérant que les émeutiers, qui sont une minorité, sont représentatifs de l’ensemble des jeunes de ces quartiers, dont bon nombre désapprouvent de tels comportements. Mais, après une telle semaine de violences, force est de constater que la question du déficit éducatif se pose de manière cruciale.

La responsabilité des parents est engagée

Bien sûr, la responsabilité des parents est engagée. Mais combien se sentent aujourd’hui dépassés dans ce climat où l’injonction reçue sur les réseaux sociaux a plus d’importance aux yeux de leur enfant que l’injonction parentale ! Aussi me paraît-il important de répondre d’abord à leur demande d’aide, plutôt que les stigmatiser au nom du droit pénal.

Mais la responsabilité de l’école est elle aussi engagée, lorsqu’elle développe chez tant de jeunes de ces quartiers un intense sentiment d’échec. Lorsqu’un adolescent arrive à penser que la seule manière de se prouver qu’il existe aux yeux des autres consiste à casser et agresser, c’est bien souvent qu’il est à la peine pour se faire reconnaître par ses propres talents.

Et que dire également de la responsabilité de bon nombre de citoyens, qui préfèrent laisser faire, plutôt qu’intervenir. Oui, l’éducation, c’est l’affaire de tous. Et il est grand temps de cesser de se renvoyer la balle entre différents intervenants !

L’erreur : le zonage de la politique de la ville

Comment en est-on arrivés là ? La situation n’est pas nouvelle, et bon nombre de témoins de la vie de ces quartiers ont alerté les politiques sur la dégradation du climat, en les prévenant que la moindre étincelle pourrait générer une véritable explosion sociale. Mais, souvenons-nous, dans les dernières campagnes des élections présidentielle et législatives, le sujet a-t-il été abordé ?

Certes, notre pays n’a pas à rougir des dizaines de milliards d’euros que l’État et les collectivités locales ont dépensés depuis trois décennies dans ces quartiers. Mais l’erreur commise, me semble-t-il, réside dans le zonage de la politique de la ville. Il s’est continuellement agi de mener des actions dans les quartiers pour les gens des quartiers, et tout ceci n’a en rien enrayé la spirale de ghettoïsation. Les effets sont redoutables dans le registre de l’éducation. Voici que les enfants habitent entre eux, qu’ils sont scolarisés entre eux (effets désastreux de la carte scolaire), qu’ils passent leurs temps de loisirs entre eux…

Une culture de quartier qui s’éloigne des lois de la République

Se développe alors une culture de quartier, qui a tendance à s’éloigner des lois de la République. Conduite sans permis, mise en danger d’autrui, refus d’obtempérer… sont considérés comme des incidents mineurs ! Combien il est important de rappeler que la transmission des valeurs républicaines, dont il est tant question dans les discours d’aujourd’hui, doit passer, pour tous les citoyens, par l’éducation à la fraternité et au respect du bien commun !

Si l’on veut sortir du caractère incantatoire du discours sur les valeurs de la République, il faut permettre aux enfants et adolescents de ces quartiers de grandir avec ceux qui habitent d’autres territoires et d’inculquer à toutes les règles nécessaires au bien vivre ensemble. Combien il me semble urgent de développer des initiatives permettant à ces jeunes de fréquenter d’autres établissements scolaires que celui situé au bas de leur tour, de participer à des activités culturelles et sportives avec d’autres que ceux de leur quartier !

Du « côte à côte » au « face à face »

Il est grand temps de sortir d’une politique des quartiers pour refonder une véritable politique de la ville, en favorisant le lien social entre les différents secteurs. Sinon, le risque est grand, comme le pressentait Gérard Collomb lorsqu’il quitta le ministère de l’intérieur, que le « côte à côte » se transforme en un « face à face ». La situation que nous venons de traverser en constitue les prémices.

Le principal défi à relever, pour prévenir une telle fracture, est celui de l’éducation. Je rappellerai, pour conclure, la parole que Don Bosco adressait aux Parisiens lors de son voyage triomphal de 1883 : « Ne tardez pas à vous occuper des jeunes, sinon ils ne vont pas tarder à s’occuper de vous. » Pertinence prophétique de ce grand éducateur !

 

 

La tribune parue dans le journal La Croix.

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